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Intérêt et spécificité de l’examen neuropsychologique expertal  après trauma crânio-cérébral

 

 

Conférence donnée à l’occasion de l’AG de l’association cassetete22 Entraide TC le 8 oct. 2022 par Virginie ORSONI,  Psychologue –Neuropsychologue 

Pour espérer mettre en relief les dommages subis après le traumatisme crânien, vu leur complexité, il faut passer par une série d’entretiens, d’examens, de tests  approfondis qui ne saurait se résoudre à un examen de 2 à 3 heures. Puisqu’il s’agit de «replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable (l’accident) n’avait pas eu lieu»

L’examen neuro-psychologique expertal se fait alors nécessairement dans le cadre d’une procédure contentieuse.

 

Virginie ORSONI est psychologue spécialisée en neuropsychologie. Expert judiciaire auprès du tribunal d’appel de Versailles elle exerce au CHIMM Meulan-Les-Mureaux, mi-temps en rééducation fonctionnelle neurologique et mi-temps en psychiatrie. Elle est aussi chargée d’enseignement à l’université Paris 8 et 10. Elle a fait quelques DU (Diplômes Universitaires) et a eu une activité très longtemps dans le cadre du dommage corporel.

 

Préambule hors conférence : petit rappel sur les procédures 

Dans une procédure amiable: on ne fait pas appel à un juge pour déterminer l’indemnisation ni a aucun expert judiciaire.

Dans Une procédure contentieuse: l’avocat saisit la justice et assigne le « mise en cause » et son assurance devant la juridiction civile du tribunal. (Sauf si une plainte a été déposée dans ce cas cela sera au pénal).

Les frais de médecins conseils sont à la charge de l’assurance (Pas d’avance en cas d’accident de la circulation).

Pour l’expertise judiciaire expert spécialisé  il faut avancer les frais qui seront remboursés à la fin du procès à l’occasion de la liquidation des préjudices

 

DEUXIEME PARTIE

Le texte ci-dessous est la retranscription réalisée par Jean-Philippe SAVALLE, avec l’accord de Virginie ORSONI, de l’enregistrement audio de la conférence.

 

Cet examen expertal ne peut se résumer à 2 ou 3 heures…

Dans le cadre de mon activité en dommage corporel, j’ai eu l’occasion de travailler  avec plusieurs équipes de médecins et de d’avocats. Je parle bien d’une équipe ; parce que c’est fondamental de travailler en équipe pour  être au plus proche du patient, de la victime, du blessé et de l’aider au mieux. Je vois que vous avez énormément parlé de manque de coordination professionnelle et bien c’est ce qu’on essaie de compenser; on essaie d’y pallier. Donc je connais relativement bien la problématique des traumatisés crâniens, moins bien que vous bien sûr!

Je vais essayer de vous expliquer en quoi un examen neuropsychologique est différent du bilan de soins, et dans quel cadre il peut s’organiser. On va plutôt parler des traumatismes crâniens légers parce que c’est la problématique  la plus difficile et c’est un petit peu la problématique de votre association.

 

Cet examen est long parce que l’évaluation est complexe: 

-Qualitative et quantitative, vous passez des épreuves,  c’est normé.

-Clinique et écologique, on vous demande d’être accompagné par un proche qui remplira également un questionnaire de façon à donner une vision plus complète de la personne; il voit les différences entre l’avant et l’après; parfois chez les blessés il peut y avoir un déni des troubles. C’est toujours très intéressant de voir le comparatif entre ce que dit l’aidant et ce que dit le blessé.

-Et elle doit reposer sur des outils validés, fiables, étalonnés, et que l’expert maîtrise bien.

-En conséquence elle est Longue, elle ne doit pas durer deux ou trois heures.

Les assurances contestent de façon systématique les rapports présentés; ils vont jusqu’à faire appel à des détectives privés

Quand on parle d’évaluer le situationnel, c’est évaluer ce que vous ne pouvez plus faire, c’est le handicap dans la vie quotidien au quotidien (AVQ).

 

Un examen neuropsychologique expertal ou de recours est moins optimiste qu’un bilan de soins

Un examen neuropsychologique expertal ou de recours n’est pas un bilan de soins parce que le travail interprétatif est différent; il doit répondre aux contraintes de la mission.

Les bilans de soins sont souvent plus optimistes que les expertises neuropsychologiques car leurs conditions de passation sont moins exigeantes et plus étalées, moins écologique (bilan hospitalier ou UEROS) insistent sur les capacités du patient. C’est bien sûr utile dans un parcours de réadaptation.

Les assurances vont réclamer tous les bilans de soins. Ils sont toujours beaucoup plus optimistes et ne sont pas représentatifs de ce que vous allez retrouver dans la vie quotidienne. Alors que les objectifs de la « mission Vieux »  sont de rechercher les incapacités.

L’évaluation expertale a un statut particulier et des contraintes spécifiques que n’ont pas les bilans de soins.

 

Précautions à prendre dans le cadre du dommage corporel

-S’assurer que le niveau culturel suffisant pour comprendre et réaliser les tests spécifiques… on peut-être aveugle, ou étranger et n’est pas bien comprendre la langue…

– il faut une batterie de test suffisamment exhaustive pour établir un profil neuropsychologique.

– on va faire une analyse qualitative de la nature des erreurs, dire à quoi correspondent les chiffres obtenus. Un trouble exécutif  dire à quoi il correspond dans la vie quotidienne. Des troubles de la planification, dire que le patient ne peut pas s’organiser, ne se rappelle plus de ses rendez-vous…

– tenir compte de la normalisation secondaire des performances après une durée d’évolution, liée en partie à des phénomènes de compensation. Il faut trouver les tests qui peuvent mettre en lumière les difficultés rencontrées pour prendre en compte les phénomènes de compensation.

(MeulemansFaculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Education Département de Psychologie Neuropsychologie Psychologie et Neuroscience Cognitives- Liège Belgique)

La psycho-biographie comprend  l’histoire pré et post-traumatique, toute l’organisation chronologique des souvenirs et toutes les doléances du patient.

La partie subjective, c’est ce que vous ressentez; sentiment d’incompétence, d’incompréhension, toutes les difficultés avec les aidants: le mari, la famille en raison des troubles du comportement, irritabilité…  Vous vous énervez avec vos enfants beaucoup plus qu’avant, on assiste à des séparations, à des ruptures au niveau du travail parce qu’il y a des engueulades avec des collègues…

il y a tout un cortège de symptômes qui vont invalider votre quotidien et engendrer parfois une dépression, un état de stress post-traumatique dû à une longue hospitalisation. Souvent on ne se rappelle pas de l’accident, mais il peut y avoir un stress post-traumatique même s’il n’y a pas de souvenirs.

Est-ce que pour les assurances les épreuves neuropsychologique que vous allez passer vont prédire vos capacités à fonctionner dans la vie quotidienne ? C’est toute la question, parce que la contestation est de mise.

 

Les « rapport maladie-incapacité » et « incapacité-handicap » sont les 2 problématiques principales

-La maladie, c’est le traumatisme crânien

-La déficience, ce sont les lésions

-L’incapacité, c’est le fonctionnel les troubles cognitifs

-Le handicap, ce sont les difficultés au quotidien difficultés de planification à s’organiser etc

 

Lorsque l’imagerie classique n’est pas contributive on peut faire une IRM en tractographie

Cet examen peut montrer une réduction des fibres (confère le professeur D. Ducreux). Le problème c’est que pour les assurances, souvent ce n’est pas « contributif » parce qu’elles estiment que la recherche internationale n’a pas validé la tractographie.  Il y a beaucoup de professeurs d’université qui l’invalident également. Mais pour autant cela garde tout son intérêt, « les juges savent lire ».

 

Quelques articles sur la notion d’imputabilité

 

 

Le rapport  « incapacité cognitive- handicap » : une autre difficulté sérieuse.

Il faut traduire  note obtenue  à un test en estimation d’un handicap probable.

Les tests neuro-psychologiques sont de mauvais prédicateurs des difficultés de la vie quotidienne tout en étant utiles et nécessaires. Car il faut pouvoir répondre: après son atteinte cérébrale comment le blessé s’est adapté.

 

Peut-être a-t-il repris un travail,  mais il doit se coucher tôt, ne peut plus recevoir des amis, il récupère le weekend plutôt que d’entreprendre ses activités personnelles…

Cette adaptation a un coût très important. Il faut l’apprécier et le mettre en valeur entre autres avec l’aide de l’examen neuropsychologique et du questionnement de l’entourage.

Il y a aussi une absence de liaison directe entre les performances cognitives et les capacités d’adaptation à la vie quotidienne parce que, dans l’examen neuropsychologique, on peut passer à côté parce que certains processus n’auront  pas été explorés tout simplement.

Il faut affiner l’évaluation en multipliant les tests et les questionnaires, également auprès des aidants

 

Les test neuro-psychologiques  sous estiment les savoirs faire et les  connaissances spécifiques

En effet, les tests ne peuvent pas explorer précisément tout ce que faisait le patient, la victime, dans son; surtout pour les savoir-faire ou expertises particuliers.

Les neuropsychologues peuvent se prononcer sur le maintien des connaissances, mais beaucoup moins sur l’expertise du sujet. Ce qui a été acquis antérieurement peut être altéré et non mesuré par l’évaluation ; d’où l’importance de la psychobiographie, et demander aux patients très précisément ce qu’il pouvait faire avant.

 

Un grand nombre de facteurs interviennent et interfèrent

 

Si le patient, la victime, travaille seul ça va, s’il travaille en équipe,  il ne pourra  pas avoir des problèmes d’irritabilité majeurs…

Si on a un trouble dysexécutif, si le rythme de travail est important, il y a la fatigue et le ralentissement poseront qui des problèmes sérieux.

Si le niveau de responsabilité exercée est important, il faut être capable de prendre des décisions rapidement, tout en prenant en compte toute l’information; ce n’est est pas toujours possible.

Est-ce qu’il y a un besoin de performance? Souvent ce n’est pas la compétence qui est altérée, c’est la performance.

A- t-on besoin d’une mise à jour régulière des connaissances?  Avec des problèmes dysexécutif, on sait que ce sera difficile à faire. C’est la nouveauté qui est difficile.

 

Contrairement à ce que l’on peut croire les troubles cognitifs sont des handicaps pour tout type de métier, manuel ou intellectuel

 Contrairement à un a priori classique, les métiers manuels sont tout autant handicapés par un trouble attentionnel, dysexecutif, que les métiers dits plus intellectuels, avocat, médecin ou professeur … dans l’exécution de leur métier.

Et tous seront handicapés par un vieillissement prématuré, ils seront plus rapidement enclins à des difficultés exécutives de mise à jour, on s’adapte moins aux nouveautés avec l’âge.

 

 

Les conditions du passage des tests neuro-psychologiques  sont toujours meilleures que celle de la vie quotidienne du patient

 

La question du contexte du passage des examens se pose

 Les tests neuropsychologiques  sont réalisés dans des conditions très différentes de la vie quotidienne même pour une évaluation classique expertale.  On essaie d’introduire des variables un peu différentes, parfois je mets de la musique, où je laisse mon portable sonner pour que l’on se rapproche des conditions de la vie ordinaire.

Il y a des tests de mémorisation où on précise qu’il faudra mémoriser! Alors que dans la vie courante cela se fait spontanément. Le plus difficile ce n’est pas la mémoire rétrospective (ce qui a été appris dans le passé), mais la mémoire prospective; la difficulté de retenir ce que l’on va faire dans le futur, organiser son agenda…

 

Avec les traumatismes crâniens légers ou modérés, c’est la somme des difficultés qui va créer un handicap majeur

L’importance du choix des tests est cruciale.

 

La surcharge mentale est difficilement reproductible et des tests reproduisent  imparfaitement la capacité du patient; d’où l’importance du choix des tests.

Dans la situation de vie on est dérangé régulièrement, au travail, en famille, ce qui est un élément généralement très perturbant pour les traumatisés.

Lorsqu’il faut réaliser des tâches avec des contraintes de temps,  ou lorsqu’il y a de la double tâche, c’est très difficile de le recréer.

Il ne faut pas hésiter à faire appel à des ergothérapeutes pour faire un bilan. Ils viennent à votre domicile,  vous voient fonctionner sur trois jours,  et là, c’est clair net et précis. Ils vous voient dans la vie quotidienne.

Évidemment l’examen neuropsychologique est très important aussi parce qu’il va permettre de corriger toutes ces difficultés, on travaille main dans la main avec l’ergothérapeute.

Il faut faire attention à ne pas employer des épreuves qui mesure de manière isolée certains composants cognitifs. Parce qu’on se sert de tout en même temps: de l’attention, de la concentration, de la mémoire… Parce que, avec les traumatismes crâniens légers ou modérés, on sait que c’est la somme des difficultés qui va créer un handicap majeur.

 

Montrer l’ensemble difficultés et impossibilités d’aujourd’hui et demain

 

Si vous avez eu le traumatisme tard, si vous êtes retraités,  que vous n’avez pas d’activité soutenue, les situations de la vie quotidienne ne vont pas mettre en lumière de difficultés psychiques ou cognitives sérieuses.

Il faut montrer les difficultés où les impossibilités que vous avez pour vos activités de loisirs, culturelles, sportives et cetera. Le but de cette évaluation c’est de voir à quel point vous êtes handicapé aujourd’hui et à quel point vous le serez demain.

L’indemnisation du dommage corporel c’est vraiment replacer le patient dans sa vie antérieure.

Certains tests sont mieux adaptés que d’autres en fonction des situations.

Dans la collecte des documents pertinents il y a le diplôme mais ça ne veut pas dire qu’après son trauma crânien il sera capable de le mettre en œuvre dans la réalité.

 

L’interprétation des tests psychométriques

 

L’examen neuropsychologique expertal a des exigences cliniques et juridiques 

Il faut savoir établir des préconisations mais on ne va pas s’immiscer dans le soin. C’est-à-dire qu’on ne va pas nous-mêmes par exemple donner les soins à la victime.

Pour ça il faut avoir une notion du vocabulaire des barèmes pour citer les symptômes précis qui vont être pris en compte par le juge pour les pourcentages. Par exemple barème du concours médical . Il faut  citer le terme de syndrome frontal, ça fait référence à des termes que tout le monde connaît: le juriste connaît, le médecin également, plutôt que  syndrome dysexécutif !

L’indemnisation du dommage corporel c’est vraiment replacer le patient dans sa vie antérieure.

 

Certains tests sont mieux adaptés que d’autres en fonction des situations.

Dans la collecte des documents pertinents il y a le diplôme; mais ça ne veut pas dire qu’après son trauma crânien il sera capable de le mettre en œuvre dans la réalité.

Le préjudice par ricochet doit aussi être documenté parce que la famille a dû s’adapter. Parfois un parent a dû arrêter de travailler, des contraintes lourdes d’organisation ont peut-être été mises en place, les études des frères et soeurs ont pu être impactées,  des états dépressifs repérés… Comment va l’aidant ?

 

La simulation : une situation  marginale

 

La simulation est marginale, donc secondaire; mais on choisit  un ou deux tests de simulation afin que les assurances ne nous opposent pas la simulation.

Il y a parfois une sur-victimisation. Elle est la conséquence de la maltraitance subie par l’absence d’écoute et l’impossibilité de faire entendre ses difficultés. Mais elle tombe quand vous êtes en face de quelqu’un de bienveillant.

 

Discussion de l’examen neuropsychologique

Dans la discussion de l’examen neuropsychologique on va reprendre les aspects lésionnels, les éléments fonctionnels et faire aussi le lien avec les traitements.

C’est le médecin qui atteste de l’imputabilité, mais l’examen neuropsychologique la documente.

 

Se soucier des soins futurs, ils sont destinés à éviter une aggravation.

 

Dans les préconisations il faut insister sur le fait que les soins futurs sont destinés à éviter une aggravation, mais que la consolidation est déjà effectuée. Les assurances cherchent souvent à utiliser les préconisations médicales pour contester la consolidation et repousser les décisions.

La tierce personne est le poste de préjudice le plus important (ce n’est pas l’hygiène uniquement) avec le préjudice professionnel. Il ne faut pas oublier qu’il faut replacer le patient de la situation antérieure; il aimait bien aller au théâtre?  il doit avoir quelqu’un pour l’accompagner s’il n’est plus capable d’aller seul.

Consolidation veut dire stabilisation, pas guérison !

La consolidation  c’est le moment où les lésions se sont fixées et ont pris un caractère permanent, qu’un traitement n’est plus nécessaire si ce n’est pour éviter une aggravation, et qu’il devient possible d’apprécier l’existence éventuelle d’une atteinte à l’intégrité physique et psychique DFP.

Stabilisation ne veut pas dire guérison.

 

Les tests classiques ont une moindre valeur à distance des troubles

 

 

Première partie de ce dossier dans l’article:  https://www.cassetete22.com/traumatisme-cranio-cerebral-lexamen-neuro-psychologique-est-central/

 

Publications de Virginie ORSONI: un chapitre sur l’expertise dans le cadre du dommage corporel avec Marie de Jouvencel, dans le livre « Neuropsychologie et Santé » chez DUNOD.  Plusieurs articles avec Marie de Jouvencel sur la réadaptation.

 

 

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2 Commentaires sur “L’examen neuro-psychologique expertal dans le cadre du dommage corporel

  1. Chakib says:

    J’ai vraiment l’impression de me reconnaître dans tout ce descriptif…en 3 ans de soins c’est la première fois que je vois quelqu’un qui le comprend …..c’est épuisant de pas pouvoir ce faire comprendre et que l’on pense que l’on joue une comédie…que ce soit avocat, médecin, famille ou autre …bravo

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