En classe, j’ai dû me réinventer après mon traumatisme crânien

Lessivée et perdue après une demi journée devant les élèves. Témoignage.

 

Amélie est enseignante et traumatisée crânienne. Elle nous explique comment dans sa classe de maternelle, milieu habituellement bruyant, elle a modifié ses méthodes de travail. Elle s’est réinventée pour  contourner les difficultés et troubles cognitifs consécutifs à son accident

Ci-dessous, la retranscription de son témoignage présenté à l’occasion de l’Assemblée Générale de l’Association cassetete22 Entraide TC le 3 juin 2023.

 

Pour  voir la vidéo du témoignage d’Amélie: rendez-vous sur YouTube

https://www.youtube.com/watch?v=YHDCEvaK0mQ

Pour les traumatisés crâniens la vidéo est souvent moins fatigante que la lecture!

 

Eh oui, j’ai été lâchée dans le grand bain !

Au milieu des enfants qui font toujours plein de bruit, qui sont toujours après nous, qui ont toujours un « truc » à demander… et je ne voyais pas très bien comment faire. Déjà qu’avec deux enfants à la maison c’était un peu dur.

Quand j’ai repris, c’était 9 mois après l’accident en mi-temps thérapeutique. Je ne travaillais qu’en matinée, mais c’était déjà énorme ; je rentrais chez moi complètement lessivée et complètement perdue. Les enfants m’épuisaient et j’avais l’impression de ne rien gérer du tout.

Auparavant j’étais très multitâche et je savais toujours quel enfant faisait quoi et à quel moment. Et là j’étais focalisée sur une seule chose et incapable de savoir ce qui se passait d’autre autour de moi. Quand je parlais à un enfant, les autres pouvaient faire n’importe quoi et je le savais pas. C’est toujours comme ça d’ailleurs! mais j’ai trouvé des stratégies pour pouvoir, «survivre» on va dire. Maintenant, je ne survis plus, ça va, je profite et passe de bons moments avec mes élèves. Même si ça me «mange» encore beaucoup d’énergie.

 

Compenser mes problèmes de mémoire et d’attention

Par exemple, je ne trouvais même pas un crayon à papier, même s’il était devant mes yeux. C’était très compliqué. Donc j’ai tout rangé dans la classe. Alors tout est hyper étiqueté afin que toutes les personnes qui viennent dans ma classe puissent ranger le matériel au bon endroit, afin que je ne cherche pas.  Il y a des étiquettes partout dans la classe, tout est fléché. Ca fait un peu psychopathe, mais bon c’est très pratique pour moi.

 

Tout est bien classé pour les adultes…

 

…Et pour les enfants avec des photos.

 

Un environnement rangé est moins fatigant.

 

J’ai aussi beaucoup de mal à gérer le temps, à gérer les horaires. Aussi j’ai fait un emploi du temps hyper simple. Par exemple, dans la matinée il n’y a que trois moments : un moment où on est dans la classe, un moment où on est en récréation, et un moment où on fait du sport. Ce sont des moments qui sont assez long du coup, alors qu’on doit normalement tout fractionner. Mais au final, les enfants s’y retrouvent tout autant que moi. Toutes les adaptations que j’ai pu faire sont hyper bénéfiques pour eux aussi. Ils sont beaucoup plus posés, beaucoup plus calmes.

Je sais que je n’arrive pas à m’organiser pour préparer des choses. J’ai donc fait en sorte que j’ai le moins de choses à préparer, et tout est très ritualisé. Tous les jours on refait la même activité au même moment. Je fais évoluer des petites choses quand même pour que ce ne soit pas rébarbatif. En fait, les enfants aiment tout ce qui est ritualisé, donc on se reconnaît et on se comprend bien entre nous, c’est assez pratique.

 

Gérer mon intolérance au bruit et la lumière

Pour le bruit, j’ai complètement réaménagé la classe pour que les activités qui font le plus de bruit soient réparties aux 4 coins. Ils n’ont le droit que d’être à deux, ils peuvent chuchoter, mais ils ne doivent pas faire de bruit. S’ils font du bruit je les sors du coin où ils jouent et je choisis une activité pour eux qu’ils doivent faire seuls, au calme, avant de pouvoir choisir par eux-mêmes une activité. Je suis assez exigeante, et au final ça marche très très bien.

 

 

Des activités réparties aux 4 coins …

 

…Pour réduire le bruit.

 

Pour la lumière, on fait classe un peu dans la pénombre. Quand il fait un peu sombre je n’allume jamais du côté des fenêtres, j’allume près du mur.  Les lumières sont réglables, j’éclaire le moins possible, de façon suffisante pour que l’on puisse travailler mais pas trop pour éviter de m’agresser.

 

J’explique mes difficultés aux enfants, ils les respectent

 

Le collier que mettent les enfants avant d’aller seuls aux toilettes

 

J’explique aux enfants que je n’ai pas assez d’énergie, que j’ai mal à la tête, qu’il ne me faut pas de bruit. En fait, ils sont hyper respectueux. Comme je les respecte, il me respecte aussi. Maintenant, ils ont l’habitude. S’ils voient que je suis concentrée sur quelque chose, il ne faut pas me déranger. Donc ils ont des codes: ils mettent la main sur mon épaule pour m’appeler. S’ils veulent aller aux toilettes, ils y vont tout seul, ils se débrouillent.

Bref, grâce à mon accident, les enfants sont devenus hyper autonomes, de force, parce que je ne pouvais pas faire autrement. Pour leur plus grand bonheur et pour le mien. C’est génial parce que lorsque je travaille avec un enfant, je sais que je suis avec lui, et on est à fond. Et en faisant comme ça, en suivant le rythme de chacun y compris le mien, maintenant j’ai des élèves de 4-5 ans qui lisent (oui oui, ils lisent). Des choses que je ne voyais jamais dans ma classe auparavant.

L’accident a fini par m’apporter des «plus». Mon travail me «mange» toujours trop d’énergie, mais je suis vraiment contente de toutes les adaptations que j’ai pu faire. Je pense qu’il y en a encore à faire, notamment pour mon organisation. Je n’arrive toujours pas à bien me servir d’un agenda correctement. Parfois j’écris des choses, je ne sais même pas à quoi ça réfère! C’est encore un peu compliqué. Maintenant j’ai appris à ne plus trop culpabiliser, à faire comme ça vient. Les enfants n’y voient que du feu.

 

Quand je lis une liste de mots, je n’y mets pas de sens. Les dessins me parlent et me guident facilement.

 A faire avant de quitter l’école

 

Ne pas chercher à retourner dans sa vie d’avant

Je bénéficie d’un environnement compréhensif. Mes collègues sont compréhensifs, ils me connaissent. Ils savent maintenant que lorsque je suis trop fatiguée, il ne faut pas trop m’en demander. Ils savent que parfois il faut répéter dix fois la même chose. Moi je ne le prends pas mal, et eux ils comprennent que je ne fais pas exprès.

Donc voilà, la réinsertion professionnelle pour ma part est possible, avec un temps partiel, avec beaucoup de compréhension autour, avec beaucoup d’aménagements, mais en tout cas, c’est possible. Et je rejoins d’autres témoignages qui disent qu’il faut se réinventer après l’accident. Si on veut à tout prix retourner dans sa vie d’avant je pense que ça ne marche absolument pas. Enfin…  pour ma part en tout cas. Inventer d’autres façons de faire, d’autres choses, ça aboutit quand même à de bons résultats et c’est positif tous les jours.

Je vous souhaite autant de bonheur que moi dans votre métier pour ceux qui sont encore en activité, pour les mamans aussi, je sais que ce n’est pas facile. Mais bon, il faut apprendre à vivre un peu mieux.

 

Le soutien de ma famille est aussi déterminant dans le processus.

J’ajoute qu’en plus du soutien de mes collègues, il y a beaucoup de compréhension de la part de ma famille. Jamais aucun reproche quand il me reste trop peu d’énergie pour fonctionner correctement à la maison. C’est pourtant bien difficile pour eux de me voir diminuée et de devoir faire avec. Alors que je tente de tout faire pour consommer de moins en moins d’énergie au travail, mon mari et mes enfants font preuve d’énormément de patience. Un nouvel équilibre est long à trouver. J’ai tout leur soutien et c’est très précieux. Sans cette compréhension, le retour au travail serait bien trop culpabilisant pour moi

 

Echanges avec les participants

 

Fanch: et les parents comment réagissent-ils ?

Les parents, ça dépend. Au début de l’année, ils sont assez réticents, parce que les enfants ont beaucoup d’autonomie. Ils jouent beaucoup, il y a très peu de travail scolaire comme on peut voir avec plein de fiches. Certains parents sont assez réticents. Et puis, au fil de l’année, quand ils voient que leur enfant va bien, que leur enfant apprend tout autant que d’ordinaire et même peut-être plus finalement, ils sont rassurés. Les plus réticents sont ceux qui ont les enfants qui vont le mieux réussir dans l’année, ceux qui ont le plus de capacité, ceux qui vont lire…

Et quand les enfants reviennent avec quelques petits mots qu’ils peuvent lire, ça y est, tout retombe. Ils comprennent aussi que moi, ma priorité, c’est le bien-être. Ca fait partie des nouvelles recherches qui montrent que lorsqu’un enfant est stressé, il n’apprend pas bien, ça bloque les zones d’apprentissage du cerveau. Quand un enfant va bien il apprend facilement. Avec toute la pédagogie que j’ai faite autour, et maintenant avec la petite réputation que je me suis faite, ça passe plus facilement. Mais c’est vrai, il y a des parents plus réticents. C’est «le jeu». Je pense qu’on n’est jamais complètement aimé et puis tant pis.

 

Vous flirtez avec l’épuisement. Les parents ont-ils besoin d’être rassurés ?

Amélie:  Oui. J’ai décalé les rendez-vous de fin d’année, je les ai finis. Je les ai faits en mai plutôt qu’en juin. Je sais que ça peut paraître bizarre. Mais je suis tellement fatiguée arrivée en juin, que tenir une conversation avec des parents, me rappeler de ce qu’a fait l’enfant, me rappeler comment il était en début d’année, aligner trois mots sans bafouiller, sans me mélanger, je sais que je ne peux pas.

Donc tant pis, les rendez- vous, je les ai faits en mai, et finalement personne ne se formalise. Voilà, je bidouille comme ça.  Et en début d’entretien quand je suis très fatiguée, je le dis. Je dis que je suis très fatiguée, que je vais chercher mes mots… Je pense que le fait de le dire, les gens le prennent moins mal. Il y a des familles dont les j’ai eu les grands frères ou les grandes sœurs dans ma classe avant mon accident. Il y a des familles qui savent que j’ai eu un trauma crânien et que j’ai des difficultés . Je pense que ça s’est dit avec une certaine compréhension derrière.

Pour moi, c’est beaucoup plus facile que tout le monde soit au courant et que ce ne soit pas un secret. Sinon je pourrais me dire qu’untel pense que… peut-être que… Ainsi, c’est clair, c’est dit, c’est comme ça.

 

Une bande dessinée pour expliquer le traumatisme crânien aux enfants

Amélie a fait une bande dessinée le titre: c’est le traumatisme crânien léger ou modéré expliquer aux enfants, comment soigner un traumatisme crânien léger. Il est en ligne sur le site cassetete22.com. C’est sa création et elle est très appréciée, pas seulement pour les enfants; elle est très bien faite.

Amélie: Oui, et J’aimerais la compléter pour la gestion de l’énergie. Trouver des solutions… quand je n’arrive pas à faire ça, tiens, qu’est-ce que je peux faire à la place. Je n’ai toujours pas trouvé le temps pour le faire. C’est ça le problème, il y a un grand écart entre ce que l’on sait faire et ce qu’on peut faire.

 

L’association cassetete22 Entraide TC est à votre écoute

logo de l'association cassetet22 entraide TCVous ne vous sentez pas  entendu ou compris quand vous parlez de votre vécu de traumatisé crânien ou cérébrolésé, …vous voulez mieux comprendre un enfant, un conjoint….  L’Association cassetete22 Entraide TC  peut vous aider si vous le souhaitez.

Nous sommes un groupe de traumatisés crâniens « expérimentés » prêt à partager son expérience… forme de pair-aidance. Pour découvrir le soutien d’Entraide TC :  Le soutien d’Entraide TC en pratique

 

 

N’hésitez pas à prendre contact, nous sommes là pour vous.

 

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